Léonard Martin

Echappée guère - Installation - 2017

présentée dans le cadre de l'exposition panorama 19

Installation


Six semble être un chiffre idéal pour inviter des spectateurs – ou sextâteurs – à mêler leurs douze yeux vigilants aux tours et détours du labyrinthe. Trois circuits pour douze ; soit quatre yeux par circuit, de quoi méduser la gougleglace ou cette terrible caméra à neuf yeux qui sévit, omnisciente, jusqu’à la lisière des derniers bois sacrés. Car là où l’entreprise de déforestation de l’imaginaire gagne jour après jour du terrain, Dédale fait fleurir des pistes foisonnantes où les dernières vigies, hissées dans leur nid-de-pie, signalent le récif ou le radeau à la dérive.

Il y a bien un spectre-tâteur, un (s)talker qui attire nos pas dans les siens. Il porte les sobriquets de Jim, Giacomo, Jiji l’Amoroso ou J. J., connu aussi sous le nom de James Joyce. Son chemin est semé d’embûches. Il n’est pas aisé de le suivre : chausse-trappes et échauffourées. Certains s’y risquent pourtant encore dans les rues de Dublin où son esprit continue de frapper.

Dédale a si bien construit son affaire qu’il semble impossible d’y échapper sans se brûler les ailes. Nulle ligne de fuite, nulle perspective, à celui qui, dit-on, fit le pas de travers qui permit à la statuaire de s’animer. Mais des garde-fous, comme ceux qui retinrent, peut-être à un feuillet, Joyce de la folie. Les remparts cachent l’enfant bâtard, l’hybride, le monstrueux, tel notre conscience qui s’arme pour ne pas flancher sous les agissements des profondeurs.

Le fil qui se déroule ici tente de se faire l’aiguilleur, le chef de gare ─ ou des égards, de ceux qui l’ont échappé guère. Qui des fondations, des suspensions, des trames, se trouvent à la marge, sur le bas-côté ; ceux qui conjurent le point de fuite, qui migrent, qui déportent, qui se transportent. Guère moins, Icare et Minotaure à la fois.

Pour ces corps désirants, Dédale inventa le vaisseau, vessel et vaisselle à la fois, où d’une chute de mots se fichent haine, chips, ship and cheap. Ce fichènchip est une trouvaille haddock à qui entend s’abandonner à son transport ; un vaisseau dont la voile est soufflée par les milles voix de langues non encore fléchées. Stephen sera le héros qui en chantera toutes les dissonances. Il y aura toujours bien assez de sirènes tirées pour taire la rumeur du monde.

Citation
« Ce qu'il y a en effet de curieux dans tous ces gestes, dans ces attitudes anguleuses et brutalement coupées, dans ces modulations syncopées de l'arrière-gorge, dans ces phrases musicales qui tournent court, dans ces vols d'élites, ces bruissements de branches, ces sons de caisses creuses, ces grincements d'automates, ces danses de mannequins animés, c'est qu'à travers leur dédale de gestes, d'attitudes, de cris jetés dans l'air, à travers des évolutions et des courbes qui ne laissent aucune portion de l'espace scénique inutilisée, se dégage le sens d'un nouveau langage physique à base de signes et non plus de mots. Ces acteurs avec leurs robes géométriques semblent des hiéroglyphes animés. » Antonin Artaud, Le Théâtre et son double.

Biographie de l’imaginaire
Le désir de voir les formes peintes s’animer a provoqué ma rencontre avec le cinéma. Non pas que ces figures méconnaîtraient le mouvement, l’histoire de la peinture n’a eu de cesse de mettre le corps en marche, mais plutôt que celles-ci seraient comme en attente d’un relai, d’un support qui les ressusciterait, d’une machine à dérégler le temps.
La recherche d’un langage physique m’a amené à la pratique de la marionnette et du cinéma d’animation afin de trouver les signes qui suspendraient un temps la rumeur du monde. Le soupçon des mots et le goût pour une langue équivoque a guidé la lecture de James Joyce, d’Arno Schmidt ou de William Faulkner.

Léonard Martin


Vit et travaille à Paris et à Lille.
A fréquenté l’atelier de François Boisrond. Participe au 61ème Salon de Montrouge. Le désir de voir les formes peintes s’animer a provoqué sa rencontre avec le cinéma. Non pas que ces figures méconnaitraient le mouvement, l’histoire de la peinture n’a eu de cesse de mettre le corps en marche, mais plutôt que celles-ci seraient comme en attente d’un relais, d’un support qui les ressusciterait, d’une machine à dérégler le temps. Le cinéma image par image, lieu de l’anima, semble propice à insuffler de telles métamorphoses.
Dans des travaux plus récents, Léonard a recours aux marionnettes à fils dans le souci de prolonger les premiers instants de l’éveil, de la naissance et de ce que le mouvement charrie d’indéterminé et de balbutiant.

Remerciements


Je tenais à remercier chaleureusement ceux sans qui Échappée guère n’aurait pu être : Christophe Gregório, Pierre Le Lay, Éric Prigent, Estelle Benazet, Violaine Lochu, les équipes techniques et pédagogiques du Fresnoy ainsi que Daniel Dobbels, Madeleine Van Doren, et le Fabricarium.

Crédits


Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains, Tourcoing