Rencontre #5 | Penser depuis l’ombre / contre-fictions

Groupe de recherche « Sciences et fictions de l’humain »

mar. 28 oct. 2025
14h00 > 18h30

Penser depuis l’ombre, c’est accueillir l’inconnu comme espace de résistance et de création, et déplacer le regard hors du champ éclairé de la technoscience, vers ses marges : là où se trament d’autres manières de connaître, de raconter et de vivre ensemble.

© Gwenola Wagon

Salle de cinéma Cocteau
En accès libre

Penser depuis l’ombre, c’est accueillir l’inconnu comme espace de résistance et de création, et déplacer le regard hors du champ éclairé de la technoscience, vers ses marges : là où se trament d’autres manières de connaître, de raconter et de vivre ensemble.

Dans l’imaginaire commun, la science-fiction est souvent associée à une série de motifs devenus stéréotypes du genre : voyages intergalactiques, conquêtes spatiales, héros solitaires, machines intelligentes prêtes à se rebeller.

Ces récits, portés par la figure récurrente d’un héros masculin, blanc, rationnel et conquérant, participent d’un imaginaire technologique fondé sur la domination de la nature, des machines, des autres planètes, voire des autres peuples.

Les technologies contemporaines entretiennent un dialogue étroit avec l’esthétique du cinéma hollywoodien, dont elles s’inspirent et qu’elles inspirent en retour. À travers ces images de puissance et de conquête se rejouent les fictions du capitalisme, auxquelles les sciences elles-mêmes, soumises à ses logiques, participent parfois à leur insu : culte de l’innovation, promesse de transparence, fascination pour la maîtrise et la conquête de l’inconnu.

Or ces récits sont aujourd’hui inopérants face à l’état du monde, traversé par des crises écologiques, politiques et technologiques d’une ampleur inédite.

Depuis les années 1960 déjà, une autre science-fiction propose des contre-récits : elle conteste l’idée d’une science (ou d’une science-fiction) neutre et universelle, ainsi que la croyance dans la toute-puissance technologique. Nourrie par des pensées féministes, décoloniales et écologiques, elle redonne à la fiction un rôle critique et spéculatif.

Ces récits imaginent d’autres futurs, attentifs aux relations de pouvoir, aux écosystèmes, aux pratiques de soin et aux savoirs situés, révèlant ce que les imaginaires technoscientifiques dominants tendent à invisibiliser.

Animés par une même intention, artistes, chercheur·es et théoricien·nes auscultent aujourd’hui les systèmes techniques, économiques et symboliques contemporains.

Par des pratiques d’enquête, de détournement ou de spéculation critique, ils et elles déjouent les logiques d’appropriation qui lient science, économie et imaginaire, produisent des contre-fictions, observent comment le capital s’incarne dans les formes mêmes de la représentation et tentent d’en dérégler les mécanismes.

Penser depuis l’ombre, c’est accueillir l’inconnu comme espace de résistance et de création, et déplacer le regard hors du champ éclairé de la technoscience, vers ses marges : là où se trament d’autres manières de connaître, de raconter et de vivre ensemble.

Programme


14h — Olivier Perriquet
Introduction et présentation de la rencontre

14h10 — Gwenola Wagon & Stéphane Degoutin
Science-fiction du sourire

Nous explorons les « systèmes obscurs », les structures qui passent souvent inaperçues mais organisent nos vies : de l’air conditionné aux aéroports internationaux, de la musique pour les plantes vertes aux infrastructures urbaines. Paradoxalement, pour atteindre à l’invisibilité, ces systèmes ne pratiquent pas nécessairement la dissimulation. Certains s’affichent même en pleine lumière, sans pour autant qu’on les identifie comme des systèmes. L’hégémonie du sourire est de ceux-là. Elle est visible comme le nez au milieu de la figure.

Ce que nous appelons aujourd’hui « sourire » – ouvrir la bouche pleines dents pour exprimer son plaisir – est une invention culturelle récente, dont on peut identifier l’origine au début du XXe siècle et le lieu de création aux États-Unis. Le sourire impose sur les visages une idéologie du bonheur obligatoire. L’hégémonie du capital devient expression faciale.

Nous avons entamé une archéologie-futurologie du sourire qui traverse plusieurs de nos films, articles, installations et performances (Institut de néoténie, Erewhon, Coaching Bonheur, Everything is real, L’image qui vous veut du bien, La photo 🙂 toute seule). Il s’agit d’explorer les rouages cachés, les infrastructures et réseaux de pouvoir globalisés, devenus de plus en plus obscurs. Nous explorons les dernières méthodes de « coaching bonheur » et les problèmes que pose la psychologie positive dans le contexte de la crise environnementale actuelle.

À mi-chemin entre conférence et performance, nous proposerons des exercices pratiques pour expérimenter collectivement les dernières méthodes de recherche de bienveillance en termes de coaching et d’intelligence artificielle. À l’aide d’extraits de films, nous conjecturerons l’avenir possible de ce système obscur.

15h — RYBN.ORG
Les brevets comme ouvroirs d’imaginaires potentiels de l’industrie et du capitalisme cognitif

15h50 — pause

16h10 — Projection de Wolkenschatten (Cloud Shadow)​, 2014, 16mm, 17 min
Un film de Ojoboca (Anja Dornieden et Juan David Gonzalez Monroy​)

16h30 — Frédéric Neyrat (en visio depuis les États-Unis)
Surfiction : gnose, science-fiction, et lignes de fuite

Quelles sont les formes de fuite souveraine en milieu cosmique raté ? C’est à cette question que j’essaierai de répondre en interrogeant le concept de fuite d’une part dans la gnose, et d’autre part dans la philosophie deleuzo-guattarienne. Cette enquête me conduira à proposer le concept de surfiction. Cette forme d’écriture ne vise pas à changer le récit de nos vies, mais à toucher le réel d’une transformation existentielle : une fuite immanente au monde. À la croisée de la philosophie hétérodoxe, de la science-fiction gnostique et de la mystique narrative, la surfiction délivre l’autre monde dans le monde.

17h20 — Table ronde avec l’ensemble des intervenant·es

18h30 — Fin de la rencontre

Intervenant·es


Stéphane Degoutin est artiste et chercheur. Son travail explore les « systèmes obscurs », les structures qui passent souvent inaperçues mais organisent nos vies : de l’air conditionné aux aéroports internationaux, de la musique pour plantes vertes aux infrastructures urbaines. À travers films, installations, performances et livres, il tente une forme de reverse engineering de ces logiques cachées, pour imaginer d’autres façons de penser et d’agir. Il enseigne à l’École nationale supérieure des arts décoratifs.
http://d-w.fr
https://nogoland.com

Frédéric Neyrat est philosophe. Professeur dans le Département d’Anglais de l’Université du Wisconsin à Madison (États-Unis), il développe des cours sur la pensée contemporaine, la technologie, et les humanités planétaires. Par humanités planétaires, il entend la rencontre de l’écologie politique et de la cosmologie au sein d’approches laissant la place à la spéculation comme à la théorie-fiction. Il anime la plateforme électronique Alienocene qui cartographie les futurs de la planète Terre et les savoirs émergents. Membre du comité de rédaction de la revue Les Temps Qui Restent où il écrit une chronique intitulée « Reporter de Paix », ses derniers ouvrage parus sont La Condition planétaire (Les Liens qui Libèrent) et Traumachine : Intelligence Artificielle et Techno-fascisme (éditions MF)
http://atoposophie.wordpress.com

Olivier Perriquet est artiste. Son travail se situe à la croisée de l’expanded cinéma et de l’archéologie des media. Diplômé du Fresnoy et docteur en bioinformatique, ancien chercheur en intelligence artificielle (Université de Lisbonne) et lauréat Fulbright (Duke University), il est depuis une quinzaine d’années professeur en arts visuels à l’école Media/Arts de Chalon-sur-Saône et supervise la recherche au Fresnoy où il a codirigé plusieurs programmes de recherche.
https://cesium-133.net

RYBN.ORG (1999) est un collectif d’artistes qui mène des enquêtes extra-disciplinaires sur le fonctionnement de systèmes complexes et opaques : les krachs du trading algorithmique, les circuits financiers offshore, la pseudo-IA, la colonisation du vivant par la propriété industrielle, et tous les angles morts des mythologies techno-libertariennes. Il en ressort des œuvres documentaires (cabinets de curiosités, archives labyrinthiques) et des dispositifs performatifs activés dans les milieux techniques qui les ont inspirés.
https://rybn.org

Gwenola Wagon est artiste et chercheuse, elle enseigne à l’Université Paris 1. Son travail imagine des alternatives et des récits paradoxaux pour appréhender le monde numérique contemporain. Elle a réalisé des films et des installations pour des festivals et des expositions en France et à l’étranger.
http://d-w.fr
http://gwenolawagon.com


Sciences et fictions de l’humain

« Sciences et fictions de l’humain » est un programme de recherche interdisciplinaire élaboré à l’initiative du Fresnoy – Studio national des arts contemporains. Situant ses recherches à l’intersection de l’art, de la philosophie, de la science et de la technologie, il prolonge les réflexions du programme « L’humain qui vient » en invitant des artistes, des membres des domaines académiques scientifiques, philosophiques et littéraires à réfléchir à ce que l’on entend aujourd’hui par « humain » dans sa capacité à imaginer, à créer, à inventer, au sein d’une époque marquée par des transformations technologiques sans précédent et des crises globales défiant de manière inédite la raison humaine.

L’initiative se fonde sur l’intuition que la science et la fiction sont intrinsèquement liées par leurs désirs de savoir et d’imagination, de découverte et d’invention. Cette démarche invite à envisager les crises du temps présent sous un nouvel angle, grâce aux approches spéculatives et artistiques, et tout particulièrement à travers le prisme de la fiction. La science-fiction, en particulier, est vue comme un point d’entrée pertinent pour cette exploration en ce qu’elle a souvent anticipé et élargi les interrogations cruciales de notre temps. Le projet propose d’interroger toutes les formes de fiction qui entretiennent des liens avec la science et la philosophie. Il s’agit d’explorer l’étendue de notre appréhension de l’humain, en soulignant l’importance du rôle critique des artistes et des philosophes.