Artiste-professeur invité

2004

Bruno Dumont

Né en 1958 à Bailleul (France)

Il enseigne la philosophie avant de réaliser une quarantaine de films courts, documentaires, publicitaires et institutionnels, puis 3 longs métrages pour le cinéma :

1996 : La vie de Jésus -- 1999 : L'humanité -- 2003 : Twenty nine palms.

« Je cherche, dans la mise en scène du cinéma, des formes d'expression nouvelles capables de rendre le mouvement de notre vie, son temps, à nos regards contemporains. S'agit-il que de rythme, d'harmonie ? Je pense à Cézanne, à ce qu'il faisait, détruisant le motif, à ses centaines de Baigneuses peintes, ces merveilleuses compositions résolument artificielles, les maladresses, les gaucheries, et qui sont toutes à rechercher ce dont l'art est capable : pas tant une vision des choses mais l'expression par l'art de l'essence de la réalité. Aussi, je pense souvent quand, bien au début de ce siècle, il eut son élan, vers l'abstraction, aux regards qui se sont posés sur lui depuis lors et qui ont accompli toutes ses œuvres.

Toutes les œuvres d'art ne sont-elles pas, comme les êtres, des commencements qui s'achèvent dans nos regards ?

Où est mon élan ?

Ne faut-il pas nous-mêmes sans cesse révolutionner le monde, sans cesse renouveler nos amours quand notre désuétude nous guette ? Elle nous mine aujourd'hui, à n'avoir presque de force sur rien, à subir un monde, dont la complexité et l'ordre contraignent nos épanouissements, nos libertés, au profit des masses informes qui nous aliènent. Qu'en est-il de nos regards ? Regarder quoi ? Sommes-nous assez dignes de vouloir vivre de la sorte ?

Qu'est-ce que le cinéma contemporain a à voir avec l'essence de la réalité ? Si ce n'est de nous en divertir, de nous abstraire d'elle, de l'oublier, de ne plus y penser !

Mais le cinéma doit modifier le monde, le regard.

On ne peut pas ne pas penser, ne pas méditer nos vies, ne pas affronter nos troubles et délaisser nos pouvoirs à la vaine démocratie.

Les vrais films de cinéma ont aussi besoin des regards pour s'accomplir. Ce sont les regards qui achèvent ces commencements que sont les oeuvres. L'art accomplit notre possibilité d'être des femmes et des hommes ; il nous éveille à propos de l'énigme que nous sommes. Des œuvres sont les compagnes de nos progrès, elles sont convaincantes.

La vie est moderne, mais plus nous ?

Que faire dès le début du millénaire ? Nous élancer, rompre nos liens, nous renverser. »

Bruno Dumont

(Texte publié dans le quotidien « L'Humanité » en décembre 1999)