Artiste-professeur invité

2017

Pascal Convert

Né en 1957 à Mont-de-Marsan (France)

Pascal Convert est sculpteur, vidéaste, historien et écrivain. Les questions de la mémoire et de l'oubli sont au cœur de son travail. Il enseigne par ailleurs le montage et a pour partie en charge le sort de l'école d'art de Biarritz. Pensionnaire à la Villa Médicis en 1989-1990, il a exposé en France au Capcmusée d'art contemporain, au Musée du Jeu de Paume, au Printemps de Septembre, à la Force de l'art. Son travail vidéo oscille entre documentaires et vidéo expérimentale. Sa réflexion sur l'histoire peut s'exprimer sous formes de sculptures (Le temps scellé, coll. Centre Pompidou, 2009), de vidéo (Direct-Indirect I, II et III, de 1998 à 2004, Histoire-Enfance, 2011) ou de textes (La constellation du lion, éd. Grasset, 2013). Georges Didi-Huberman lui a consacré plusieurs textes et livres (La demeure, la souche (1999) et Sur le fil (2013), éd. de Minuit, Sortir du Blanc, 2013, inédit). Le projet qui occupe son travail actuel implique sculpture, photographie et vidéo autour de l'ombre des Bouddhas de Bamiyan disparus.

Certains auront pu penser qu'ayant choisi au début des années 2000 d'écrire sur l'histoire de la seconde guerre mondiale, si lointaine et pourtant  si proche, sur des héros disparus prématurément comme Joseph Epstein [1], juif polonais, internationaliste communiste, fusillé deux fois, la première le 21 avril 1944 au Mont Valérien par les Nazis, la seconde par l'oubli, ou de consacrer un biographie [2] et deux films documentaires [3] à Raymond Aubrac que j'ai eu la chance de côtoyer pendant les quatre dernières années de sa vie, j'avais choisi de m'éloigner, voire de quitter le champ des arts plastiques. Paradoxalement, alors que je m'engageais dans ce chemin que beaucoup imaginaient sans retour, des commentateurs voyaient mon travail précédent de sculptures monumentales en cire inspirées pas des photographies de presse célèbres [4] comme une entreprise de dissolution de l'histoire « dans un discours compassionnel, aboutissant à une esthétisation des différents visages de la misère, de la souffrance et de la violence [5] ».

Il faut dire que je proposais une étrange équation mathématique : en ordonnée, historien des images [6], j'aurais été aspiré par le mouvement de l'histoire des événements au point de devenir historien avec le sérieux scientifique que cela implique. Et en abscisse, je collectais dans les rebuts de la télévision des images de corps portés, des visages, des mains, des étreintes, une humanité de dos à laquelle aussi on tourne le plus souvent le dos [7]. Me plaçant Devant la douleur des autres, pour reprendre le titre du livre de Susan Sontag, j'essayais d'imaginer proche ce qui a priori était lointain et dans des vidéos d'événements terribles et récents, l'invasion de l'Irak en 2003, j'incrustais des images de mes propres enfants endormis [8]. Je comprends les questionnements qu'a pu susciter mon travail à cette époque. En plaçant histoire personnelle en abscisse et histoire publique en ordonnée, n'y avait-il pas un risque de tout confondre, de tout mélanger ? Dans les faits, j'anticipais le devenir proche du lointain, inéluctable dans nos sociétés mondialisées. Après une brève amnésie qui a fait croire à certains qu'avec la fin des dictatures venait la fin de l'Histoire, la cruauté promise au XXIe siècle a éclaté en plein jour, en plein ciel, le 11 septembre 2001. Et de Palmyre au Bataclan cette cruauté a tenu ses promesses, devenant plus cruelle, plus effrayante et obscène chaque jour.

 A l'occasion du quinzième anniversaire de leur destruction, j'ai été invité par l'Ambassade de France à réfléchir à un projet artistique autour des Bouddhas géants de Bamiyan le 11 mars 2001. A l'époque, le monde occidental n'a pas complètement pris la mesure de cet événement qui pourtant s'inscrit dans une chronologie qui conduit à la destruction des deux tours géantes de New York, sept mois plus tard exactement, le 11 septembre 2001. Deux Bouddhas géants, deux tours géantes : prise dans une double figure gémellaire en miroir, la conscience du spectateur est médusée et reste enfermée dans une forme aiguë de présent hors de l'histoire. L'objectif premier de l'« épuration culturelle » menée par les extrémistes islamistes n'est autre que de nous faire littéralement perdre la mémoire. Et avec elle notre conscience. Avec le concours des sociétés Iconem, spécialisée dans l'archéologie en zone de guerre et Cornis, qui utilise des technologies du spatial pour détecter les micro-fissures dans les pâles d'éolienne, j'ai pu mettre en place une mission archéologique et réaliser une collecte de plus de 100.000 images qui ont permis la création d'un modèle 3D de la falaise [9]. Le plus fascinant face à ce site était certainement la présence à vif, douloureuse, des fantômes des Bouddhas. Si les Talibans ont cru détruire ces statues géantes, de même qu'à Hiroshima après l'explosion de la bombe atomique, il en reste l'ombre portée. La matière des milliers d'images, des séquences tournées par des avions et des drones servira à s'enfoncer au plus profond de ces ombres pour retrouver notre mémoire.

[1] Joseph Epstein, bon pour la légende, éd. Séguier, Paris, 2007. [2] Raymond Aubrac, Résister, Reconstruire, Transmettre, éd. du Seuil, Paris, 2011. [3] Production Les films d'ici pour France Télévisions. [4] La Pietà du Kosovo, La Madone de Bentalha ou la Mort de Mohamed Al Dura à Gaza, Coll. MUDAM, Luxembourg. [5] Alice Laguarda, Art et politique. Reconquérir usage et expérience in Art, participation et démocratie, Emulations n°9, 2011. [6] In Art Press Des images en mercure liquide, novembre 1999 ; Des images figées, mai 2001 ; Médée l'algérienne, janvier 2003. [7] Vidéogramme Direct-Indirect 1, 1996. [8] Vidéogramme Direct-Indirect 2, 2003. [9] Cette modélisation 3D sera remise gracieusement aux autorités gouvernementales afghanes et pourra être utilisée par la communauté scientifique des archéologues.


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