Agata Wieczorek

Growing - Film - 17min - 2021

présenté dans le cadre de l'exposition Panorama 23

Film


  1. Synopsis : Le personnage principal, Ewa, est une jeune femme qui entame une carrière de médecin. Elle suit une formation dans un centre de simulation à l’allure futuriste, où elle affine ses compétences en participant à des simulations très réalistes, en incarnant un mannequin de cire médical et en se livrant à des jeux de rôle. À un moment, elle commence à ne plus faire la distinction entre expérience et simulation. Souffrant d’insomnie et de paranoïa, elle est confrontée à une situation où elle doit trouver le moyen de différencier la réalité de la fiction.

  2. Concept : La nécropolitique (A. Mbembe) et le biopolitique (M. Foucault, P. Preciado) décrivent des systèmes de pouvoir où la société se voit bridée par le contrôle des aspects biologiques des vies individuelles. Lorsque le corps devient politique, il ne représente plus l’intimité ni l’autonomie, mais se transforme en espace d’oppression exposé. Réduire une personne à un corps privé d’intimité et de capacité est un acte d’une rare violence. Le stress et la paranoïa causés par le fait de vivre dans un tel environnement deviennent le décor de Growing, qui se déploie entre la réalité et sa réception profonde et subjective par le protagoniste. L’action du film se déroule dans un centre de simulation médicale, l’une des unités d’enseignement pratique des soins de santé actuellement en place. Les centres de simulation ne diffèrent pas d’un véritable hôpital – le seul élément artificiel y est le corps humain. Les futurs soignants s’entraînent sur des mannequins et des accessoires automatisés qui remplacent les patients humains en faisant sans cesse les mêmes gestes : respirer, saigner – et accoucher. Dans les films d’horreur, comme Alien (1979) et Prometheus (2012), réalisés par Ridley Scott, la grossesse porte les mêmes traces : elle est inattendue, incompréhensible et impossible à supprimer. À mesure qu’il croît dans le corps humain, le sentiment d’horreur augmente. Il est troublant de constater à quel point la réalité individuelle peut se rapprocher de la fiction, en prenant pour exemple la loi anti-avortement récemment imposée en Pologne, qui oblige les femmes enceintes à accoucher à n’importe quel prix, indépendamment de leur volonté et de leurs capacités. Growing recourt au motif de la grossesse et au genre cinématographique du body horror (horreur corporelle). À l’instar de Répulsion, de Polanski, l’expérience du personnage prend une tournure psychosomatique et suspendue entre la peur, la folie et le réel, car elle n’est plus à même de distinguer la simulation de l’expérience réelle. La peur et la paranoïa d'Ewa grandissent – littéralement – en elle. Pourtant, Ewa diffère des protagonistes féminins de Polanski. Contrairement à Rosemary’s Baby (1968), elle refuse ce qui naît de la peur inséminatrice, de la réalité oppressante – et, comme Médée, elle le tue. Son acte ne fait pas forcément signe vers une fin positive. La violence étant la seule réponse qu’autorise la réalité du film, imaginaire ou réelle, même s’il semble libérateur, l’acte d’Ewa appartient, malgré tout, à la réalité violente qui l’a engendré.

  3. Additional text : CHAMBRE FROIDE, par : Estelle Benazet, to be published in: artist book, by The Eyes (Paris), end of 2021.

En 2020, l’artiste polonaise, Agata Wieczorek entreprend une série de photos & vidéos intitulée Growing. Actuellement en résidence au Fresnoy - Studio national des arts contemporains, elle réalise la partie filmique. Chargée de production du projet, Estelle Benazet Heugenhauser, également autrice, nous raconte le film et sa portée : « dans un espace chirurgical, des soignants s’affairent autour d’un mannequin aux jambes écartées, posées sur des étriers. Des mains s’accordent, décollent le ventre comme le couvercle d’un coffre, et au milieu de la structure de plastique et de métal, apparait un petit humanoïde prêt à naître. D’autres mains, du côté de la vulve en silicone cherchent à extraire le petit corps, un mécanisme à piston s’active et le met au monde. [...] Avec les mannequins high-tech, nous apprenons en simulant les soins. Nos diagnostics s’automatisent, nous devenons des cyborgs, et avec cette méthode de pointe utilisée par les sciences appliquées, la création de savoir se produit comme n’importe quelle autre opération machinique. Après la scène d’accouchement des humanoïdes, Ewa la protagoniste, étudiante en médecine fait face au petit : la bouche enfantine remue comme pour exprimer quelque chose, mais il s’agit simplement d’une réaction pneumatique de l’être de silicone. [...] Ewa est enceinte à son tour mais refuse sa grossesse. La médecin la félicite et s’abstient d’énoncer le choix possible de l’avortement. Ewa rentre chez elle. Plus tard, dans son appartement, du sang coule le long de ses jambes. Ewa accouche seule. Sur le sol où se sont répandues les caillots de chair, Ewa découvre cet être abject et luisant qu’elle a mis au monde. Elle s’empare d’un couteau et le hache. Ancienne étudiante de l’École Nationale de cinéma de Lodz, où a également étudié Polanski, (Répulsion, Rosemary’s baby), Wieczorek est de fait l’héritière d’un patrimoine cinématographique de l’horreur. [...] La brutalité des images est la seule réponse possible à la violence subit par toutes ces femmes, à qui la mécanique sociale et culturelle impose un destin de mère. C’est aussi une façon de nous alerter quant au contexte politique polonais actuel, où le droit à l’avortement a été supprimé en octobre dernier. Rappelons que 42% des femmes dans le monde n’ont toujours pas accès à ce droit humain.

Agata Wieczorek


La pratique d'Agata Wieczorek combine le film et la photographie tout en évoluant entre le documentaire construit et la fiction documentée. Le corps humain, placé dans des situations à la fois extrêmement intimes et extrêmement politiques, est un sujet récurrent dans ses oeuvres, qui examinent les économies de genre et la marchandisation du queer, les politiques identitaires et la manière dont elles sont employées par les stratégies du pouvoir gouvernemental. Elle est actuellement artiste au Fresnoy – Studio national des arts contemporains (2020-2022). Elle est diplômée de l’École nationale du film de Lodz, en Pologne (direction de la photographie), et de l’académie des arts Strzeminski de Lodz, où elle a étudié la peinture et l’impression d’art.

Remerciements


Remerciements particuliers au Centre de Simulation en Santé PRESAGE (Plateforme de recherche et d’enseignement par la simulation pour l’apprentissage des attitudes et des gestes), un département de la faculté de médecine Henri-Warembourg (Université de Lille), pour nous avoir aimablement accordé l'accès à leurs locaux pour le tournage du film.

Crédits


Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains, Tourcoing